Les Belges ont eu maille à partir avec les Congolais, à tous les points de leur pénétration intempestive dans le vaste territoire de ce pays. Finalement, les uns et les autres se sont acceptés en dépit de quelques différentiations. Ils se sont apaisés. Ils sont devenus «oncles» et «neveux». Dans cette affaire, les Belges se sont enrichis et sont contents. Et les Congolais ont évolué valablement, qualitativement ; ils sont également contents. Les Congolais ne se sont jamais froissés pour ce donnant-donnant. Mais, pour restituer le Congo aux Congolais, les Belges n’ont pas été fair-play. Ils étaient pleins de faux-fuyants pour ne pas laisser leurs «neveux» disposer d’eux-mêmes lorsque le vent de la liberté a soufflé sur l’Afrique. L’échappatoire clairement exprimé était le «Plan de 30 ans» consistant à prolonger l’exploitation du Noir par le Blanc. Les Congolais, plus intelligents qu’ils ne l’étaient en 1880, ont répondu à ce Plan de malheur de la manière suivante qui recevait les acquiescements du pouvoir belge ayant des Progressistes en son sein. Voici une chronologie pour rappeler aux vieux les péripéties qu’ils ont vécues et pour montrer aux jeunes les voies et moyens choisis par leurs aînés afin d’aboutir à l’Indépendance, le 30 juin 1960.
1956
-02 juillet. Le quotidien «Le Courrier d’Afrique» publie le Manifeste de la Conscience Africaine et la Déclaration des Evêques du Congo. Les deux documents proclament que «le moment est venu pour les Congolais de prendre part à la conduite de leur pays».
-23 août. L’Abako réagit, en réclamant «tout de suite : l’émancipation et un Etat fédéral».
– Cette année, toutes les associations culturelles et tribales se transforment en partis politiques.
1957
-26 mars. Le pouvoir colonial appelle les Congolais des villes aux urnes pour désigner leurs édiles communaux. Ces élections ont lieu, en décembre, à Léopoldville (Kinshasa), Elisabethville (Lubumbashi) et Jadotville (Likasi).
1958
-Avril. Installation des Bourgmestres Congolais, élus du peuple.
-Septembre. Les Congolais haussent le ton, politiquement parlant. Avec l’Abako en tête, ils exigent l’indépendance totale du Congo, «solution capable de stabiliser les rapports belgo-congolais».
-Le Mouvement National Congolais (MNC) est créé. Lumumba dit vouloir combattre toute forme de séparatisme régional.
-Du 20 octobre au 14 novembre. Séjour au Congo du «Groupe de Travail pour L’Etude du Problème Politique du Congo-Belge». 25 jours, 40 séances, 462 personnes interrogées. Rapport : «La revendication nationaliste est née au Congo. Le phénomène est irréversible. Il faut entrer, sans hésiter, dans la voie de l’émancipation politique».
-Décembre. Elections communales à Stanleyville (Kisangani), Luluabourg (Kananga), Coquilhatville (Mbandaka) et Costermansville (Bukavu). L’Exposition de Bruxelles est ouverte. Elle donne aux Congolais l’envie de faire et de vivre la politique.
-28 décembre. De retour de la deuxième Conférence panafricaine d’Accra (Ghana), Lumumba tient le tout premier meeting qui réunit plus d’un millier de personnes sur la place communale de Kalamu, à Kinshasa. Il demande à la Belgique de faire jouir, immédiatement et pleinement, toutes les libertés et tous les droits fondamentaux aux Congolais.
30 décembre. L’Abako décide de tenir, le 04 janvier 1959, une réunion au complexe YMCA (Young Men Christian Association). Elle en avise le Premier Bourgmestre. Celui répond que «si cette réunion n’a pas de caractère privé, la responsabilité des organisateurs serait engagée». Les chefs de l’Abako considèrent cette réponse comme une interdiction. Ils reportent la réunion au 18 janvier, dans l’attente de la déclaration gouvernementale, prévue pour le 13 janvier 1959.
1959
-04 janvier. Dimanche. Des Kinois, militants de l’Abako ou non, investissent l’YMCA dès 10h00. Leur nombre ne fait qu’augmenter, car ils ne sont pas informés du report de la réunion. Comme ils ne voient pas venir les chefs abakistes, ils s’énervent, supputent, lancent des quolibets aux policiers. Pour disperser la foule, un commissaire de Police tire en l’air. Aussitôt, une rumeur circule dans la capitale selon laquelle «les Blancs tuent les Noirs». Et ce sont les émeutes en différents endroits de la ville. Emeutes amplifiées par les sportifs sortis du stade Roi Baudouin (Tata Raphaël) où V.Club vient d’être battu, trois buts à zéro, par Mikado, équipe d’Air Congo. Les Blancs sont les principales victimes de ces violences extrêmes qui durent toute la nuit.
-05 janvier. Lundi. Les leaders de l’Abako sont arrêtés. Kasa-Vubu, révoqué de ses fonctions de Bourgmestre de Dendale (commune de Kasa-Vubu) le 06 janvier, sera arrêté le 07 janvier. Les habitants de Matete et de N’djili entrent dans la danse des émeutes de 4h00 à 18h00. Destructions et incendies de tout ce qui représente la présence européenne dans la cité africaine. Les communes européennes sont aussi atteintes par les Congolais furieux. A 18h00, les militaires belges basés à Kamina débarquent à l’aéroport de N’djili. La nuit, les militaires de la Force Publique remplacent les policiers dépassés ; ils sont naturellement encadrés par les forces métropolitaines venues de Kamina (Katanga).
-06 et 07 janvier. Mardi et mercredi. Les militaires occupent solidement les communes africaines. Mais, les Noirs ne se calment pas.
-08 janvier. Jeudi. A Bruxelles, le Parlement belge crée une commission d’enquête sur les événements du 04 janvier à Léopoldville.
-11 janvier. L’Abako est dissoute. Les dirigeants, en liberté, travaillent dans la clandestinité. Quelques-uns sont à Brazzaville, au Congo d’en face.
-13 janvier. Le Roi Baudouin déclare que «la Belgique conduira le Congo à l’indépendance». Le Gouvernement belge annonce les élections au Congo pour la fin de l’année 1959.
-Mars-avril. Kasa-Vubu et deux de ses compagnons, libérés, séjournent à Bruxelles. Ils exigent des gouvernements provinciaux congolais dès janvier 1960 et un gouvernement central dès le mois de mars 1960.
-16 mars. L’Abako puis tous les autres partis exigent le dialogue direct entre Gouvernement belge et leaders congolais.
-Avril. Le Mouvement National Congolais se distingue par son congrès à Luluabourg (Kananga) et des prises de positions révolutionnaires.
-13 mai. Kasa-Vubu et ses compagnons rentrent à Léopoldville. Ils mettent en garde contre un pouvoir trop centralisé afin d’éviter les sécessions.
-04 septembre. Le ministre belge chargé du Congo annonce la position de la Belgique : Deux Assemblées à compétence législative vont fonctionner en 1960. Le pouvoir exécutif sera organisé en même temps. La Belgique ne reconnaît pas les leaders politiques comme ses interlocuteurs valables.
-04 au 10 octobre. Lumumba s’en va à Accra. A son retour au Congo, il se rend à Stanleyville pour le congrès de son parti et celui des partis alliés. La fin des travaux est marquée par des graves émeutes comme celles de Léopoldville. Patrice Emery Lumumba est arrêté.
-11 et 12 octobre. Affrontements sanglants Lulua-Baluba. Ils reprennent en décembre. Cela se passe principalement à Luluabourg et à Léopoldville. – Le MNC est déjà scindé en aile Kalonji et en aile Lumumba.
-03 novembre. Le Parlement belge propose un colloque à Léopoldville, groupant les leaders congolais et le ministre du Congo assisté des parlementaires belges. Mais, le Parti Socialiste belge rejette cette proposition ; il exige et obtient qu’une Table Ronde se tienne à Bruxelles.
-15 décembre. Second débat au Parlement belge sur le dialogue avec les Congolais. Le ministre du Congo précise sa conception de la Table Ronde : établir le timing de mise en place des structures politiques au Congo et trouver les formules permettant d’aller vite aux élections législatives ; y prendraient part : ministres et parlementaires belges ainsi que porte-parole des partis congolais reconnus importants.
-16 décembre 1959 au 02 janvier 1960. Baudouin 1er entreprend un voyage au Congo.
1960
-09 janvier. Baudouin 1er se rend compte que le Congo devienne un Etat sur la base d’une très large autonomie des provinces et que l’accession à l’Indépendance soit organisée de manière efficiente et dans un esprit de fraternité. Cependant, au ministère du Congo, on prépare une Table Ronde comme un lieu pour discuter de la colonie et se prononcer sur les recommandations.
-20 janvier -20 février. Table Ronde politique à Bruxelles (Royaume de Belgique). Côté congolais : 108 délégués dont 18 conseillers. Côté belge : 6 ministres, 22 conseillers, 17 députés et 10 sénateurs. Total : 163 personnes détournent l’attention du monde entier sur Bruxelles.
-27 janvier. Les Congolais imposent la date du 30 juin pour l’Indépendance du Congo. C’est le jour où Lumumba, libéré provisoirement de sa prison à Stanleyville, arrive à Bruxelles.
-28 janvier. Quant aux compétences du Parlement et du Gouvernement du Congo, les Congolais sous l’impulsion de Lumumba demandent que «la Belgique remette toutes les clés le 30 juin» et que «les Congolais décident seuls de l’usage qu’ils en feront».
-1er février. Le Gouvernement belge accepte, contre son sentiment, que le Congo accède à l’Indépendance totale et inconditionnelle, exactement dans cinq mois.
-02 au 16 février. Elaboration des résolutions de la Table Ronde politique. Leur traduction en Loi Fondamentale ou Constitution provisoire de la République du Congo. Acceptation du principe d’un Gouvernement central à Léopoldville et des gouvernements provinciaux provisoires jusqu’au 30 juin 1960.
-17 février. Le Gouvernement belge s’accroche à sa colonie, il propose et obtient que les gouvernements central et provinciaux s’appellent Collèges Exécutifs près respectivement le Gouverneur Général et les Gouverneurs de Province, et que les leaders congolais lancent des appels au calme pour contenir leurs compatriotes dont beaucoup sont tombés sous les balles des policiers et des militaires.
-08 mars. Le Gouvernement belge sort la Loi sur les Collèges Exécutifs. -Installation, à Léopoldville, du Collège Exécutif Général.
-23 mars. Loi électorale.
-26 mars au 16 mai. Table Ronde économique à Bruxelles.
-03 au 10 mai. Tournée du Collège Exécutif Général à travers le pays. -11 mai. Elections locales et législatives.
-19 mai. Diffusion de la Loi Fondamentale.
-23 juin. Publication des résultats des élections. Lumumba et Kasa-Vubu se disputent le pouvoir exécutif national. Etant de force politique presque égale, les deux hommes se mettent d’accord : Joseph Kasa-Vubu sera Président de la République ; Patrice Emery Lumumba, Premier Ministre. – Ce soir-là, le Gouvernement Lumumba obtient la confiance du Parlement.
-27 juin. Kasa-Vubu prête serment, devant les Elus du peuple, en tant que Chef de l’Etat.
-Jeudi 30 juin à 11 heures : début des cérémonies marquant la proclamation de l’Indépendance du Congo.
James Mpunga Yende
The Escalating Conflict in the Sahel: A Geopolitical Quagmire